Le jour où Isaiah Cree est venu au monde, il a reçu de son arrière-grand-père un bâton de crosse en bois que ce dernier avait lui-même fabriqué et sur lequel il avait gravé le nom et la date de naissance du poupon.
« La crosse a toujours été importante pour mon peuple et pour ma famille », raconte le finissant en développement international de 22 ans, qui se souvient d’avoir joué à lancer et attraper une balle de crosse avec son père et son grand-père alors qu’il marchait à peine.
« En raison de la place toute particulière qu’occupe ce sport au sein de la communauté, beaucoup de gens originaires d’Akwesasne sont de très bons joueurs de crosse. Chaque année, nous produisons de nombreux excellents joueurs de crosse. »
Tragédie et triomphe
La sĂ©lection d’Isaiah Cree Ă titre de premier capitaine autochtone de crosse de l’UniversitĂ© ż´Ć¬ĘÓƵ est survenue au terme d’une excellente saison 2022, pendant laquelle le jeune joueur a marquĂ© douze buts pour les Redbirds. L’équipe s’est ensuite rendue en demi-finale de la Coupe Baggataway, championnat de l’Association canadienne universitaire de crosse au champ.
Ce n’est qu’après trois longues années que le nouveau capitaine a pu déployer son talent au sein de l’équipe universitaire, l’an dernier. En 2019, c’est une blessure au ligament croisé antérieur subie lors de sa dernière année de secondaire qui l’en a empêché. Puis, en 2020 et 2021, la pandémie de COVID‑19 a mis un frein aux activités de l’équipe.
En septembre 2022, Isaiah Cree a enfin pu reprendre le jeu. Pourtant, à peine trois semaines s’étaient écoulées depuis le début de cette saison tant attendue, un accident de voiture effroyable enleva la vie à l’un de ses meilleurs amis d’enfance. Encore sous le coup de l’émotion, le nouveau joueur des Redbirds a décidé de ne pas se retirer des deux matchs consécutifs prévus au cours des jours suivant les funérailles de celui qu’il considérait comme l’un de ses « premiers et meilleurs » amis.
« Je ne voulais pas qu’il croie que je sacrifiais un aspect de ma vie à cause de la peine que son décès m’avait causée, explique-t-il. Je voulais jouer ces matchs. Je lui ai rendu hommage lors de ces matchs. »
Les origines de la crosse à l’honneur
Lors de chacune de ces rencontres, que son Ă©quipe a d’ailleurs remportĂ©es, Isaiah Cree a comptĂ© trois buts. DisputĂ© le 30 septembre, JournĂ©e nationale de la vĂ©ritĂ© et de la rĂ©conciliation, le deuxième match revĂŞtait une signification particulière. Connu sous le nom de match patrimonial, ce match disputĂ© au stade Percival-Molson et au cours duquel l’UniversitĂ© ż´Ć¬ĘÓƵ se mesurait Ă l’UniversitĂ© Queen’s, rendait hommage aux origines autochtones du sport. Ă€ cette occasion, les participants ont notamment assistĂ© Ă une danse de la fumĂ©e, Ă un chant d’honneur et une allocution prononcĂ©e au nom de Mike Mitchell, ancien grand chef d’Akwesasne e Ă ainsi que des discours de sensibilisation Ă la JournĂ©e du chandail orange, et ont participĂ© Ă une collecte de fonds au profit d’un organisme communautaire autochtone.
Le capitaine mcgillois soutient que l’idée d’un match patrimonial est le fruit de conversations entre étudiant(e)s et employé(e)s à la Maison des peuples autochtones. Selon Isaiah, Aneeka Anderson, dont il a d’ailleurs fait la connaissance alors que les deux habitaient à la Maison des peuples autochtones, est à l’origine de cette initiative.
Celle qui occupe maintenant le rĂ´le d’adjointe, Initiatives autochtones au Bureau des initiatives autochtones de l’UniversitĂ© ż´Ć¬ĘÓƵ est persuadĂ©e que le match n’aurait pas connu un tel succès sans la participation d’Isaiah Cree.
« J’ai présenté une foule d’idées à Isaiah et à d’autres ami(e)s à la Maison des peuples autochtones, se rappelle-t-elle. Je me disais : “S’il est satisfait, alors nous avons fait du bon travail.” »
« Il inspire l’espoir et la fierté chez nos jeunes; je crois qu’il nous rappelle l’importance de cette représentation et de cette célébration de l’excellence autochtone, en crosse comme dans d’autres domaines. »
Cette année, tous les matchs disputés à domicile par des équipes de l’Université le samedi 30 septembre porteront le titre de match patrimonial. Les préparatifs vont déjà bon train, et Isaiah Cree a fait appel à Brandon Lazore, artiste originaire d’Akwesasne, pour la création d’un nouveau dessin pour le maillot commémoratif que porteront les joueurs et que le public pourra se procurer.
Unique joueur autochtone de l’équipe
Isaiah Cree est reconnaissant d’avoir pu participer aux échanges qui ont mené à la mise sur pied du match patrimonial. Malgré les origines culturelles de la crosse, il est le seul joueur autochtone des Redbirds.
« Je croyais que nous serions plus nombreux, étant donné la proximité aux autres réserves. Mais je suis content d’avoir représenté ma communauté là où nous sommes habituellement absents », dit-il en référence à sa place au sein de l’équipe et à ses réalisations à titre d’étudiant mcgillois.
« Toutes les étapes que j’ai franchies pour me rendre ici, pour obtenir mon diplôme et même faire une demande d’admission à la maîtrise; ce sont toutes des étapes que les membres de ma famille n’ont pas eu la chance de franchir, à cause des effets dévastateurs des pensionnats autochtones. »
« J’espère que l’université cessera d’être perçue d’un mauvais œil : on n’a pas à s’y sentir inférieurs. On peut plutôt la percevoir comme une ressource qui nous aide à comprendre les problèmes que nous vivons dans les réserves, et non comme un lieu où se perpétue la mentalité de colonisation. »
Un exemple Ă suivre
En avril dernier, lors de la cĂ©rĂ©monie de remise de prix du Service des loisirs et des sports de l’UniversitĂ© ż´Ć¬ĘÓƵ, Isaiah Cree a reçu la , dĂ©cernĂ©e Ă un(e) Ă©tudiant(e) qui a fait face Ă l’adversitĂ© et qui est perçu(e) comme un modèle par ses pairs. Si la dĂ©termination dont il a fait montre pendant sa longue absence au jeu et le courage qu’il a dĂ©ployĂ© sur le terrain justifient amplement cette prestigieuse distinction, le jeune athlète se dĂ©marque encore davantage par les inlassables efforts qu’il a consacrĂ©s, pendant de nombreuses annĂ©es, au dĂ©veloppement de son talent naturel.
« Lorsque j’avais seulement douze ou treize ans, certains entraîneurs me donnaient quelques années de plus; j’avais donc espoir que la crosse serait un tremplin pour moi. »
L’intérêt qu’Isaiah a suscité s’est traduit par une bourse sportive complète pour étudier au collège privé Sierra Canyon, à Los Angeles, à environ 4 500 kilomètres d’Akwesasne. L’adolescent a saisi l’occasion sans hésiter et s’est retrouvé dans un milieu où le soutien offert, bien plus vaste qu’à son école secondaire de Massena, dans l’État de New York, touchait toutes les facettes de la vie étudiante.
« À Massena, il n’y avait pas beaucoup de professeurs qui s’intéressaient à moi, parce qu’ils croyaient que j’étais un élève difficile, comme tant d’autres. Mes notes étaient de 70 %, parfois de 80 %. Mais quand je suis arrivé dans un collège où le personnel enseignant avait ma réussite à cœur, mes notes ont commencé à grimper, et j’avais alors des 90 %. »
Une fois son parcours secondaire à Sierra Canyon terminé, Isaiah Cree a obtenu la bourse d’études pour Autochtones Tewaaraton, octroyée par Lacrosse USA, instance dirigeante de la crosse aux États-Unis, ce qui lui a permis d’intégrer l’université. Isaiah établit des parallèles entre ses réalisations sportives et scolaires et la décision de ses grands-pères, à l’adolescence, de déménager dans une nouvelle ville pour entreprendre un dur métier afin de soutenir leur famille.
« Même si je n’allais pas nécessairement suivre leur exemple, j’avais néanmoins l’intention d’opter pour une voie qui aurait des retombées bénéfiques pour moi, pour ma famille et pour ma communauté. Je n’ai ménagé aucun effort et j’ai obtenu cette offre qui m’a permis d’étudier à Los Angeles. J’y suis allé parce que c’est ce que mes grands-pères auraient fait. »
« J’ai acceptĂ© l’offre, j’ai donnĂ© le meilleur de moi-mĂŞme, et j’ai Ă©tĂ© admis Ă ż´Ć¬ĘÓƵ. »