Madeline Yaaka est entrĂ©e dans l’histoire lorsqu’elle a commencĂ© le programme MDCM de ż´Ć¬ĘÓƵ le mois dernier. Inuk de Kangiqsujuaq, au Nunavik, dans le Nord du QuĂ©bec, elle Ă©tait dĂ©jĂ la première diplĂ´mĂ©e universitaire de sa communautĂ©, ayant dĂ©crochĂ© un B. Sc. en biologie Ă ż´Ć¬ĘÓƵ le printemps dernier. Première Ă©tudiante en mĂ©decine de sa rĂ©gion, elle devrait devenir sa première mĂ©decin inuk en 2027, si tout se passe bien.ĚýĚý
Le succès de l’étudiante revĂŞt une importance particulière pour Alex Allard-Gray, gestionnaire du Programme autochtone des professions de la santĂ©. Il connaĂ®t Madeline Yaaka depuis sa participation au camp Eagle Spirit Science Futures, oĂą elle a d’abord Ă©tĂ© campeuse, puis comme monitrice principale. Ce camp de STIM pour les jeunes autochtones est dirigĂ© par le Programme autochtone des professions de la santĂ©. « Madeline est une championne des Inuit et une lueur d’espoir pour les jeunes », a soulignĂ© Alex Allard-Gray, qui a organisĂ© le camp et qui est lui-mĂŞme ancien campeur et ancien coordonnateur des relations communautaires. C’était lors de la CĂ©rĂ©monie du foulard qui a Ă©tĂ© tenue pour les diplĂ´mĂ©s et diplĂ´mĂ©es autochtones en mai.ĚýĚý
Le Nord et le SudĚý
Nous avons rencontrĂ© Mme Yaaka Ă la fin aoĂ»t, tout juste avant qu’elle reparte pour MontrĂ©al afin de participer aux activitĂ©s d’orientation des Ă©tudes mĂ©dicales de premier cycle. Elle nous a parlĂ© de chez elle, sur Zoom. « Il y a beaucoup de brouillard aujourd’hui, alors ma connexion internet n’est pas des plus stables », nous a-t-elle avertis. Elle a soulignĂ© le contraste entre les deux mondes qu’elle habite.ĚýĚý
« J’ai passĂ© mon temps Ă faire de la randonnĂ©e, Ă visiter ma famille et mes amis, et Ă aider Ă la prĂ©paration d’aliments traditionnels comme le bĂ©luga, l’omble chevalier et le caribou, nous a-t-elle dit de son Ă©tĂ© passĂ© Ă Kangiqsujuaq, un village d’environ 800 personnes. Du vivant de mon père, on allait camper pratiquement toutes les fins de semaine, et parfois pendant de plus longues pĂ©riodes Ă l’étĂ©. Je chassais aussi. »Ěý
Elle adore ĂŞtre chez elle, mais elle admet que certains aspects de MontrĂ©al lui manquent. « Sans savoir pourquoi, j’ai très envie de manger des avocats, dit-elle en riant. Les fruits et lĂ©gumes frais me manquent beaucoup. Et les longues douches aussi. » L’avocat inatteignable est emblĂ©matique de certaines des commoditĂ©s de base qui ne sont tout simplement pas disponibles dans de nombreuses communautĂ©s du Nord et que l’on tient pour acquis dans le Sud. Ces communautĂ©s font face Ă un approvisionnement instable en eau (acheminĂ©e par camion), Ă un manque d’accès Ă des soins de santĂ© et dentaires, et Ă l’absence d’un enseignement prĂ©parant les Ă©lèves aux Ă©tudes postsecondaires. Mme Yaaka a dĂ» composer avec l’ensemble de ces lacunes. Elle a dĂ» s’installer en Ontario avec sa tante afin d’obtenir des crĂ©dits en science nĂ©cessaires Ă une formation universitaire et non offerts Ă Kangiqsujuaq.ĚýĚý
Ses rĂ©alisations sont le fruit de son travail, et elle en est fière, mais elle attribue Ă©galement sa rĂ©ussite Ă ses parents. Sa mère, une enseignante, et son père, un chasseur rĂ©putĂ© (dĂ©cĂ©dĂ© peu après que sa fille eut terminĂ© le secondaire), ont fait de ses Ă©tudes une prioritĂ© et l’ont encouragĂ©e Ă persĂ©vĂ©rer en vue d’atteindre l’excellence. Elle avoue que la pression pour rĂ©ussir est forte. « Mais je sais que les gens de ma communautĂ© me soutiennent. Quand je rentre Ă la maison, tout le monde me fĂ©licite », affirme-t-elle.ĚýĚý
Un parcours inspirantĚý
Le camp Eagle Spirit a Ă©tĂ© une autre Ă©tape essentielle de son parcours. « Je savais que je voulais exercer une profession oĂą j’aiderais les gens, mais je n’avais pas encore arrĂŞtĂ© mon choix sur les Ă©tudes en mĂ©decine, se remĂ©more-t-elle. C’est Ă Eagle Spirit que j’ai compris ce que je voulais vraiment faire. » Les campeurs et campeuses y acquĂ©raient une expĂ©rience pratique en rĂ©alisant des prises de sang et en pratiquant la RCR sur des mannequins, ce qu’elle a beaucoup aimĂ©. « J’ai Ă©tĂ© inspirĂ©e par les prĂ©sentations donnĂ©es par des Ă©tudiants et Ă©tudiantes autochtones en mĂ©decine et par une chirurgienne cardiaque inuk, Donna May Kimmaliardjuk. »Ěý
Madeline Yaaka a hâte de commencer sa formation mĂ©dicale, mĂŞme si elle ressent aussi de la nervositĂ©. « C’est un peu intimidant de savoir que je vais ĂŞtre la seule Inuk dans les salles de cours et dans ces milieux, mais j’ai l’habitude », dit-elle avec rĂ©signation. En gĂ©nĂ©ral, son expĂ©rience en tant qu’étudiante autochtone Ă ż´Ć¬ĘÓƵ a Ă©tĂ© bonne, mais elle a tout de mĂŞme Ă©tĂ© Ă©branlĂ©e de devoir faire face Ă des attitudes dĂ©passĂ©es et Ă des manuels anachroniques qui renforcent des stĂ©rĂ©otypes ou nient l’impact des politiques coloniales sur les communautĂ©s autochtones. On se sent stressĂ© et seul quand on doit prendre la parole pour corriger ces perceptions erronĂ©es, mais l’étudiante croit que c’est son devoir de le faire. « J’ai les outils et l’espace nĂ©cessaires pour parler au nom des gens de ma communautĂ©, explique-t-elle. MĂŞme si je suis leur seule porte-parole dans un cours, j’espère que ça peut aider Ă changer les choses. »Ěý
Des avenirs en sciences de la santĂ©?Ěý
Mme Yaaka essaie aussi de changer les choses chez elle, dans sa communautĂ©. Selon elle, le petit nombre de Nunavimmiut qui font des Ă©tudes postsecondaires n’a rien d’étonnant compte tenu des obstacles que les Ă©lèves du Nunavik doivent surmonter et qui sont inimaginables pour la plupart des QuĂ©bĂ©cois et QuĂ©bĂ©coises. « C’est un problème très complexe, affirme-t-elle. Nos droits fondamentaux doivent ĂŞtre respectĂ©s avant qu’on puisse s’attaquer Ă la question de l’enseignement supĂ©rieur. Nous avons besoin d’un peu plus de temps et de plus de ressources dans nos communautĂ©s. »Ěý
Elle encourage tout de mĂŞme activement les jeunes de sa communautĂ© Ă donner le meilleur d’eux-mĂŞmes et Ă faire l’essai des Ă©tudes supĂ©rieures. « Chaque fois que je le peux, je visite l’école secondaire, le centre rĂ©crĂ©atif et les camps d’étĂ© pour parler de mon histoire. Je dis aux Ă©lèves : “Ça va ĂŞtre difficile, mais je sais que vous pouvez y arriver.” J’espère qu’en me voyant, ils se disent : “OK, c’est possible.” »Ěý
L’action sociale n’a rien de nouveau pour elle. Pendant ses Ă©tudes de premier cycle, elle s’est impliquĂ©e Ă la Maison des peuples autochtones, oĂą elle a pu renouer avec des campeurs et des campeuses d’Eagle Spirit et se joindre au centre de justice. Elle y a mis sur pied un cours de fabrication de mitaines pour les Inuit urbains ainsi qu’un cours de fabrication de parkas. Elle travaille Ă©galement Ă temps partiel pour la station de radio de sa rĂ©gion, pour qui elle enregistre des annonces en inuktitut, sa langue maternelle.Ěý
Mme Yaaka ne sait pas encore quelle branche de la mĂ©decine elle adoptera. « Pour l’instant, je garde l’esprit ouvert, mais j’aimerais retourner dans ma communautĂ©, ce qui veut dire que je devrai probablement devenir mĂ©decin de famille, ou encore une spĂ©cialiste qui se dĂ©place, explique-t-elle. Mais la chirurgie m’intĂ©resse aussi beaucoup parce que j’aime coudre et fabriquer des choses. »Ěý
DotĂ©e d’une assurance tranquille, l’étudiante est certaine que tout s’arrangera. « Je pense qu’en grandissant au Nunavik, j’ai appris Ă m’adapter au changement et que je suis assez forte pour surmonter les Ă©preuves qui m’attendent, dit-elle. C’est très difficile de grandir sans services de base. Il faut se dĂ©brouiller avec ce qu’on a. Alors, je pense que je serai prĂŞte pour relever le dĂ©fi. »Ěý
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