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Soins Palliatifs Ă  domicile Ă  Nunavik

Le médecin de famille Geneviève Auclair a pratiqué « dans le nord » à Nunavik pendant 16 ans, ce qui représente sa carrière médicale en entier. Son engagement à prodiguer d’excellents soins dans des circonstances très différentes de la pratique du sud, ressort clairement dans sa passion pour son travail et son engagement envers la population qu’elle sert et sa capacité de s’adapter constamment aux ressources disponibles. Environ 14,000 personnes habitent le Nunavik qui mesure 444,000 kilomètres carrés et est situé à la fois dans l’Arctique et dans des zones subarctiques au nord du 55e parallèle. Dr Auclair a été interviewé par Devon Phillips.

Devon Phillips (DP) : Racontez-moi au sujet de Nunavik et votre pratique dans ce lieu. Très peu de personnes se sont déplacées si loin dans le nord. Comment est l’environnement?

Geneviève Auclair (GA): Nunavik est dans le tiers nord de ce qu’on appelle maintenant la province de Québec. Nous avons plus de 70 groupes indigènes au Canada et la population locale du Nunavik est à 90% inuit. Toutes les communautés à Nunavik vivent dans des coins reculés qui sont accessibles seulement par avion et je travaille maintenant à Inukjuak, une ville qui est considérée plus « grande » pour la région, ce qui signifie qu’il y a près de 2,000 habitants mais sans un hôpital. L’hôpital le plus proche se trouve à 200 km par avion. Nous avons des soins médicaux de base, une clinique avec quelques médecins, infirmières, sage femmes, interprètes, travailleurs sociaux, travailleurs communautaires et un dentiste. Ça fait déjà 16 ans que je travaille dans cette région. Au départ, j’étais basée à l’hôpital à Puvirnituq à 200 km de là et au fil des années, dans des villes plus petites ou il n’y a pas de médecin à pleins temps. J’ai donc travaillé dans différents espaces de soins palliatifs et chacun est différent. Pour les gens de Nunavik, les soins tertiaires ont lieu dans le « sud », à Montréal.

DP : Les communautés du Nunavik sont éloignées. Comment est-ce que les personnes se rendent-ils des centres de traitements dans le sud vers leurs communautés pour des soins de fins de vie?

GA: Pour que les gens reviennent chez eux après un traitement à Montréal, le vol le plus court vers Nunavik depuis Kuujjuaq ou Puvirnituq est un trajet de 2 heures dans un jet. Toutefois, pour des villes comme Inukjuak, les avions à réaction n’y vont pas donc c’est un petit avion, un Dash-8 avec hélice et ça représente 6 heures de vol et d’atterrissage, avec des hauts en bas plusieurs fois. Les villes mettent plus de temps à voyager et cela implique des changements d’avion donc ça prend au moins 7 heures et c’est si tout est à l’heure. Imaginez si vous êtes sérieusement Carte du Nunavik Inukjuak (village) malade et que vous aviez à voler pendant toute une journée. C’est beaucoup trop. Nous avons eu Medavac (vol nolisé pour les transferts médicaux) pour le retour des personnes chez eux. J’ai besoin d’expliquer ceci parce que ce n’est pas évident pour des personnes qui ne connaissent pas le territoire du Nord.

Inukjuak (village)

DP: Qu’en est-il de votre choix de travailler à Nunavik? Comment est-ce arrivé?

GA: Je suis venue à Nunavik pour faire un stage lorsque j’étais étudiante en médecine, il y a 20 ans de ça. Le lien humain m’a semblée spécial. C’est aussi pourquoi j’aime faire des soins palliatifs malgré que dans ce milieu, c’est inconfortable de toujours recommencer. Les soins palliatifs n’est pas quelque chose que je fais tous les jours mais quand je le fais, c’est très intense. Je tiens à garder les familles unies. Je pense que c’est une importante partie de la vie. Avoir travaillé à Nunavik a fait de moi une meilleure personne. C’est pourquoi je reviens sans cesse.

DP : Parlez-moi des différentes communautés où vous avez prodigué des soins palliatifs.

GA: Il y a trois villages principaux où j’ai effectué du travail clinique, Puvirnituq, Inukjuak et Ivujivik, et ils ont trois manières différentes d’aborder les soins palliatifs. L’infrastructure et la taille de l’équipe de soins local impliquent des défis différents. A Puvirnituq où il y a un hôpital, si la famille était épuisée, nous pouvions admettre le patient à l’hôpital et la famille pouvait lui rendre visite.

CLSC Inukjuak
DP: Comment ça fonctionne à Inukjuak ou il n’y a pas d’hôpital local?

GA: La différence avec Inukjuak, une communauté d’approximativement de la même taille que Puvirnituq mais sans un hôpital, c’est ça si vous voulez les mêmes commodités qu’offre un hôpital avec des infirmières 24/7, vous devez vous éloigner de votre ville natale et les 20 membres de ta famille qui aimeraient passer du temps avec toi, ne peuvent pas facilement suivre. L’hôpital fournit les billets d’avion et l’hébergement pour un ou deux membres de la famille selon la situation. Bien sûr, d’autres personnes peuvent payer pour leur part mais les personnes en fin de vie ont fort intérêt à rester chez elles. En effet, c’est universel. Rester à la maison pour mourir est important.

DP: Est-il important de mourir Ă  la maison dans le culture Inuit?

GA: Oui, d’après ce que j’ai observé. Même en milieu hospitalier, de nombreuses personnes se présentent que pour les dernières journées et les dernières heures. J’ai vu des jeunes enfants se promener autour d’une personne qui devrait bientôt mourir. Des membres de leur famille m’ont dit que les enfants doivent être inclus afin de comprendre que la mort fait partie de la vie normale.

DP: Quels sont certains des défis principaux pour livrer des soins à domicile?

GA: Nous n’avons pas une équipe dédiée aux soins palliatifs ou je travaille actuellement, Inukjuak, ou dans aucune communauté dans Nunavik, donc les soins palliatifs tombent entre les mains de l’équipe de soins à domicile car elles sont équipées d’une voiture et d’un interprète.

L’inconvénient de l’équipe de soins à domicile est qu’il travaille du Lundi au Vendredi, de 9 à 5. Les soins palliatifs ne s’arrêtent pas à 17h00 et ne prends pas de pause durant les fins de semaines, donc lorsque nous avons quelqu’un sur un cas actif de soins palliatifs à domicile, l’infirmière de soins à domicile va normalement se porter volontaire pour leur apporter un soutien, même après les heures.

Nous avons vu de beaux soins se produire dans une maison. Cela signifie énormément pour les membres de la famille que nous fournissions des soins palliatifs à la maison, afin qu’ils puissent partager des chants, des prières et des festins, simplement être ensemble.

La principale différence entre être à l’hôpital et les soins à domicile est qu’à l’hôpital il y a des infirmières qui offrent des sous-cutanées 24/7. A la maison, les membres de la famille ne sont pas nécessairement confortables d’administrer des injections sous-cutanées. Donc, en tant que médecin, j’ai dû sortir hors de sentiers battus et opter pour différentes formulations, sirop, médicament sublingual, intra rectal, si la personne est à l’aise avec cela.

Un autre facteur est que nous sommes une petite clinique communautaire et nous n’avons pas tout à notre portée. J’ai passé beaucoup de temps avec des pharmaciens au téléphone pour trouver comment écraser une telle pilule et si elle serait un bon substitut. J’ai besoin de connaitre les différents usages de chaque médication.

DP: Qu’en est-il des soins palliatifs dans les très petits villages?

GA: Ivujivik, the village situé plus au nord, n’a que 400 personnes et seulement 2 infirmières et ces infirmières font tout. Elles doivent prodiguer des soins palliatifs de qualité et s’assurer que le restant des activités cliniques continue. Nous essayons d’administrer de la médication de longue durée afin d’éviter de nombreuses visites pendant la nuit. Je n’ai jamais été témoin de résistance ou d’opposition de la part de nos infirmières. Lorsque vous travaillez dans une petite ville, la flexibilité fait partie du contrat. Au fils des années nous avons accompagné de nombreuses familles avec leurs proches dans leurs derniers moments à la maison. En cas d’échec, il y a toujours la possibilité d’envoyer par avion à l’hôpital de Pivurntuq. Mais il demeure cher au cœur des gens de rester à la maison.

Genevieve and Manu Qaunnaaluk, interpreter in Ivujivik
Genevieve and Manu Qaunnaaluk, interpreter in Ivujivik/Genevieve et Manu Qaunnaaluk, interprète à Ivujivik
DP:Vous avec dit que les deux infirmières à Ivujivik faisaient absolument tout. Et en tant que médecin de famille, faites-vous aussi tout?

GA: Exactement! Lorsque je revois tout ce que j’ai fait à la fin de la journée, je me dis, wow, cela est si varié! Dans une seule journée, je peux évaluer un nouveau-né, prescrire des pilules de contraception à Genevieve et Manu Qaunnaaluk, interprète à Ivujivik une adolescente, traiter une dépression. Autant que je suis impliquée dans les soins palliatifs, je suis impliquée dans les soins d’urgence, soins à domicile, dans une multitude de sphères médicales comme la pédiatrie, soins aux adultes, gériatrie, psychiatrie, et oui, ici les médecins de familles font tout. Il n’y a pas de spécialistes qui sont à pleins temps dans ce territoire. Je consulte d’autres médecins de famille et un pharmacien. Je crois que le pharmacien comprend mieux ce que j’ai sur mes tablettes et quels sont mes défis. Nous ne pouvons pas commander un nouveau médicament; ça peut prendre plusieurs jours pour l’obtenir car ils sont livrés par avion et des tempêtes de neige, du vent et de la brume peuvent empêcher un avion d’atterrir. Nous n’avons pas de tablettes vides mais nous ne sommes pas préparés à recevoir quelqu’un qui recoit de fortes doses de narcotiques sans avertissement. Nous avons deux médecins de famille qui ont déjà travaillé dans notre territoire qui pratique maintenant des soins palliatifs à plein temps et ils sont disponibles par courriel pour consultation

DP: J’ai appris que ces jours-ci vous divisez votre temps entre Nunavik et Montréal.

GA: Oui, lors de mes premières années j’étais à pleins temps comme médecin à Nunavik, 8 mois par année. Ensuite, je suis passée à temps partiel, donc 4 mois non consécutifs dits « étirés » qui peuvent être découpés en semaines donc permettre plus de flexibilité pour les personnes avec des familles, par exemple. Nous avons des conditions spéciales ici. Après 4 semaines de travail, vous pouvez être vidé d’une manière indescriptible. Nous ne sommes pas de garde tout le temps mais à Inukjuak il y a peu de médecins, et je peux être appelée en tout temps, tous les soirs au besoin.

Lorsque je suis à Montréal, j’ai deux principaux rôles. Je recrute des médecins de famille pour travailler à Nunavik, et je travaille au sein de l’équipe des maladies infectieuses de la santé publique, principalement avec l’équipe de la tuberculose, comme nous avons des éclosions continues au Nunavik depuis de nombreuses années.

DP: En regardant vers l’avenir, quel est votre liste de souhaits pour Nunavik en termes de soins palliatifs?

GA: La première priorité est d’avoir davantage de travailleurs inuits en en soins de santé. Ce serait le mieux pour optimiser les soins palliatifs et pour la sécurité culturelle. J’aimerais que nous ayons plus d’infirmières. C’est difficile de recruter et de retenir les professionnels de la santé. Les conditions de vie sont difficiles. Il n’y a pas de réseau cellulaire dans la plupart des villes, l’eau courante dépend des humains conduisant un camion pour remplir les réservoirs dans chaque ville et dans chaque maison. Bien sûr, cela n’a pas seulement un impact sur les soins palliatifs, mais avoir plus d’infirmières nous permettrait d’offrir plus confortablement des soins 24 heures sur 24 aux personnes qui meurent à domicile.

DP: J’ai l’impression que vous maximiser le plus possible les ressources que vous avez?

GA: Faire plus avec moins, c’est le lot de notre vie chaque jour. Parfois, c’est faire plus que vous pouvez imaginer. Je ne pourrais jamais faire ce travail seule. Ça prend une équipe. Même si nous avons eu différentes personnes au fil des années dans l’équipe, j’ai toujours vu tout le monde travailler vers les mêmes objectifs, prodiguer des soins de santé.

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